Viviane de Montalembert

Courrier :
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Précédemment :

   ♦ La chair et l'esprit
   ♦  Sur la terre comme au
      ciel : Heureux !
  
♦ 
Dès le sein
   ♦  L'actualité de Noël

et autres articles

Pentecôte

"Pardonner", une mission ? 

C’était après la mort de Jésus ;
le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit : "La paix soit avec vous !"

Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.

 Jésus leur dit de nouveau :
"La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie."

Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit : "Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus."
                                                           (Jean 20, 19-23)

"C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs…". Ils ont peur. Ils craignent  ces Juifs qui ont mis Jésus à mort, qu'ils ne leur fasse subir le même sort. Alors ils se sont enfermés. Ils ont verrouillé les portes. Pour se protéger. Mais la peur est toujours là, à laquelle ils ne voient pas d’issue. Et voilà que "Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : ‘La paix soit avec vous !’" La paix, c’est le contraire de la peur. Quand le fantôme de l’ennemi a disparu et quand la vie à nouveau reprend ses droits.

Il est très difficile — et beaucoup le savent —, de vivre dans la terreur, sous la menace de l’abus, du dénigrement, de la calomnie, dans la crainte à tout moment d’être "accusé sans raison", comme dit le psaume1. C’est la chair alors qui est atteinte et qui tremble, la chair en manque de souffle qui ne sait plus où trouver sa vie — comme Jésus à Gethsémani qui sue sang et eau à l’approche de ses bourreaux2. Plus d’espace où vivre en paix, plus de repos. Le traumatisme est là, partout où vous allez, même si c’était il y a longtemps, même si vous avez fait votre vie ailleurs, même si vous croyez lui avoir échappé.

C’est alors que l’on vous dit que, pour aller mieux, "il faut pardonner". Pardonner, en grec aphiemi, c’est "laisser aller", c’est rompre en effet avec la fascination de l’ennemi, arrêter de le tenir au collet, croyant qu’il a le pouvoir de vous interdire d’exister là où vous êtes, comme vous êtes. La difficulté, avec l’approche exclusivement psychologique de l’épreuve, est de vous y enfermer avec le méchant sans vous indiquer d’autre porte de sortie que cette effort qu’elle exige de vous, de "pardonner", de "laisser aller". Mais comment faire, où trouver la force quand celui ou celle qui vous veut du mal semble si peu capable, et moins encore désireux, de réparer ? — Et même, le doit-on ? 

"Il [Jésus] leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie". L’évangile a ceci de particulier qu’il détourne votre regard du persécuteur pour le tourner vers le "Père" par qui le souffle à nouveau vient à la chair, quel que soit le sort qui lui est fait. Il n’est pas dit ici que les blessures du crucifié sont guéries, ni que son cœur transpercé soit refermé. Et pourtant il vit, et la peur a disparu. Comment s’est fait ce renversement ? À Gethsémani déjà, bien avant le supplice, quand il s’est tourné vers le Père et qu’il a dit : "Pas ma volonté, mais la tienne.3” Il a arrêté de se débattre. Il s'est abandonné au vouloir de ce Père qui sait préserver l’intégrité de celui et celle qui se confient à lui. Quelle que soit l’horreur de l’épreuve à traverser.

Les épreuves, le mal, la méchanceté, personne n’y échappe. Et plus vous êtes aimant et vrai, plus vous les subirez. Mais la différence entre celui qui appartient au Christ et celui qui marche seul, replié sur lui-même et sur ses propres forces, réside dans le fait que celui qui est au Christ — "croyant" ou pas — les traverse tourné vers un autre, attendant sa vie d’une source mystérieuse logée en lui et qu’il ne sait pas nommer.

"Jésus leur dit de nouveau : ‘La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie.’” La paix qu’ils éprouvent soudain à voir Jésus vivant n’est pas juste pour eux la guérison du traumatisme subi de la perte d’un maître. Elle est la substance même de la mission pour laquelle ils sont "envoyés" dans le monde.

"Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit :'Recevez l’Esprit Saint'" — littéralement : "Recevez le Souffle". Et Jésus d’ajouter : "À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus." Le lien ici est manifeste entre le fait pour les disciples de "recevoir le Souffle" et celui de "remettre" ou de "maintenir les péchés" — hamatia : la faute, le préjudice subi. C’est aux "disciples" de Jésus, ceux qui le suivent et qui reçoivent son Souffle, qu’est donné ici le pouvoir de "maintenir" ou de "remettre" — et pas seulement aux prêtres et aux évêques comme le veut la doctrine élaborée bien plus tard. Le Souffle étant promis à tous, c’est à tous, dans le même mouvement, qu’est offerte cette capacité, ce "pouvoir" de lier ou de délier, de tenir le méchant au collet ou de le laisser aller — un pouvoir qui procède immédiatement de l'accueil de l’Esprit.

Celui qui reçoit l’Esprit de Dieu respire avec Dieu d’un même Souffle et sa chair toute entière s’en trouve vivifiée. L’épreuve même devient pour lui le lieu, par excellence, où il aspire à recevoir ce surcroît de Souffle qui va lui permettre de s’avancer vers le méchant sans plus avoir rien à craindre de sa méchanceté, et le "laisser aller". C’est là le témoignage du martyr, qui déstabilise le méchant et le renvoie à son impuissance. Le disciple, à la suite de Jésus, est "envoyé" pour rendre ce témoignage : le Souffle dans sa chair plus fort que la peur, et la paix reçue de Dieu plus puissante que l'hostilité à laquelle il doit faire face. "Le Tout-Puissant fit pour moi des merveilles", chante Marie au moment même où elle est menacée, selon la Loi, d’être lapidée pour adultère : "Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles4".

Tel est la merveille attendue, aujourd’hui encore, de cette fête de Pentecôte.

Viviane de Montalembert 05 17

1.Psaume 108, 3
2. Luc 22, 44.
3. Luc 22, 42.
4. Luc 1, 49 ; 52.

LA LETTRE
vous informe
de l'actualité de
LaCourDieu.com

Votre courriel :

Merci d'indiquer
le n° du jour (ex: 21 si
nous sommes le 21 juin).