Viviane de Montalembert

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5ème Dimanche de Carême

La chair et l’esprit :
une question de vie ou de mort

Frères,
ceux qui sont dans la chair
ne peuvent pas plaire à Dieu.

Or, vous, vous n’êtes pas dans la chair,
mais dans l’Esprit,
si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas.

Mais si le Christ est en vous,
le corps, il est vrai, est ‘mort’ à cause du péché,
mais l’Esprit est ‘vie’ à cause de la justice.

Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.
                                                               
Lettre aux Romains 8, 8-111

"Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu." À entendre ces mots, on pourrait croire que Paul considère tout ce qui appartient à la vie corporelle et charnelle comme incompatible avec Dieu, alors que seul pourrait lui plaire ce qui dans l’homme est du domaine de l’"esprit".

Deux mots sont employés par l’Apôtre pour dire la dimension physique de l’existence humaine : le corps, et la chair. Or le corps est, de l’homme, ce qui se voit, tandis que la chair reste inaperçue. C’est le corps de Jésus que verront les disciples après sa résurrection, un corps relevé de la mort dans laquelle il avait d’abord sombré. Jésus apparaissant à ses disciples insiste sur ce point : la dimension corporelle de sa résurrection. "Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ; touchez-moi2", leur dit-il. Le "moi" de Jésus est attesté par son corps qu’ils sont invités à voir et à toucher. La Résurrection dans les Évangiles ne tire son sens que de ce constat. Parler de vie et de résurrection, c’est parler du corps, nécessairement. Jésus enseigne ici à ses disciples à faire le lien entre son corps tel qu’ils croient le connaître, et son corps réel, témoin de sa chair vivifiée par l’Esprit. À Pierre, Jacques et Jean, il en avait donné un premier aperçu quelque temps auparavant, lors de sa transfiguration : "Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière3". Son corps alors resplendit d’une lumière qui vient de l’intérieur, de sa chair toute entière vivifiée par l’Esprit.

La chair — en grec sarx : la viande — est, dans le corps, le matériau dont l’homme est fait. Le mot est apparu pour la première fois dans la Bible quand Dieu a retiré de l’adam endormi un morceau de chair et d’os pour le bâtir en femme. La chair est commune à toute l'humanité ; elle est une et elle est solidaire. C’est pourquoi il aura suffi qu’un seul homme ait péché et se soit refusé à accueillir l’Esprit, pour que toute chair par contagion s’en trouve altérée ; comme il suffira qu’un seul homme — le Fils uni au Père et rempli de l’Esprit — advienne "dans une chair semblable à celle du péché4" pour que toute chair potentiellement s’en trouve vivifiée. "Car, comme par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été faits pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul beaucoup seront faits justes5", écrit Paul.

"Juste", "justice", "justification", sont les mots employés par l’Apôtre pour dire la condition de l’homme qui a fait bon accueil au don de l’Esprit, tandis que "désobéissance" désigne l’attitude de celui qui s’y est montré récalcitrant. Lorsque Paul oppose ici la chair à l’esprit, c’est à la chair altérée par le péché et privée de l’Esprit qu’il se réfère. Or "l’esprit", en grec pneuma, c’est le souffle. Le souffle est dans la chair ce qui l’anime et la fait vivre. L’homme habité par l’Esprit de Dieu respire avec Dieu d’un même souffle et sa chair toute entière s’en trouve vivifiée ; tandis que celui qui s’y refuse reste seul, et sa chair privée du Souffle progressivement succombe à l’asphyxie à laquelle il l'a  condamnée.

Paul écrit : "Vous, vous n’êtes pas dans la chair". Autrement dit : Vous n’êtes pas confinés dans l’espace restreint d’une chair inerte, en manque de Souffle et privée de l’Esprit ; "mais [vous êtes] dans l’Esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous." Celui qui a accueilli l’Esprit est dans l’Esprit, en même temps que l’Esprit est en lui ; il "fait avec lui un seul esprit6".

Mais Paul va plus loin, il précise : "… si du moins vous avez accueilli l’Esprit. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas." L’apôtre s’adresse ici aux chrétiens de Rome, mais il ne préjuge pas de leurs situations respectives et les renvoie chacun à sa propre décision. On peut d'ailleurs regretter que la traduction liturgique propose une formule plus générale : "puisque vous êtes devenus des justes" qui assimile tous les auditeurs de Paul indifféremment à des justes — annulant ainsi la liberté laissée à l’homme d’accueillir ou de rejeter le don de l’Esprit7 — là où le texte original formule une restriction : "Si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous8", un conditionnel que l’on retrouve dans les deux strophes qui suivent : "Si le Christ est en vous… Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous…".

La proposition donc est sans appel, qui pose l’inhabitation9 de l’Esprit librement accueilli dans la chair de l’homme comme le seul critère d’appartenance au Christ ressuscité. Celui qui dans sa chair a reçu l’Esprit est par là même associé à la condition charnelle du Fils. Il cohabite en lui-même avec le Christ et il hérite sa résurrection.

"Si le Christ est en vous, le corps il est vrai est ‘mort’ à cause du péché, mais l’esprit est ‘vie’ à cause de la justice", poursuit Paul. Est-ce à dire que le corps et l’esprit seraient pour l’Apôtre nettement séparés, et le corps irrémédiablement exclu de la vie de l’Esprit ? Certes non, puisqu’il vient précisément de mentionner "l’Esprit qui habite en vous…". Or, où l’Esprit habite-t-il, sinon dans le corps ? Ailleurs, il a écrit : "Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l'Esprit ?10" C’est donc que Paul n’oppose pas dans l’homme le corps à l’esprit, mais qu’il distingue deux régimes d’existence corporelle propres à un individu ou à un autre, dont l’un est ‘mort’ "à cause du péché", c’est-à-dire à cause du refus de l’Esprit, et l’autre est ‘vie’ "à cause de la justice", c’est-à-dire à cause du don de l’Esprit aussitôt reçu.

La conclusion de la démonstration dès lors est évidente : "Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus le Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous".

Le futur du verbeil "donnera la vie" — cependant ne doit pas nous tromper car, suivant la logique du texte où Paul s'adresse à ses interlocuteurs au présent, il ne s’agit pas ici d’un futur temporel, comme d’une vie qui serait re-donnée après la vie dans un au-delà aujourd’hui hors de portée mais, selon un usage du futur fréquent dans les langues anciennes11, d’une vie reçue dès cette vie comme la conséquence immédiate de ce qui précède : l’inhabitation de l’Esprit dans le corps de celui ou celle qui l’a accueilli.

Le "corps mortel" quel qu’il soit, vieux, jeune, en bonne santé, handicapé ou malade, qui a été arraché à la mort par sa participation à la résurrection du Christ, dès aujourd’hui exsude la vie par tous les pores de la peau.

Et cela se voit ! Celui – celle – qui est habité par l’Esprit est porteur en son corps d’une lumière très particulière qui lui vient de l’intérieur, de ce que jour après jour et jusque dans les circonstances les plus ordinaires, il\elle traverse la mort avec le Christ — et avec lui aussi le découragement bien souvent — pour y faire avec lui triompher la vie.

Viviane de Montalembert 03 17


1. Nous nous sommes écartés de la traduction liturgique en plusieurs endroits que nous signalons par des caractères en italiques ; et ceci chaque fois qu'il nous est apparu nécessaire pour une meilleure compréhension du texte de revenir au plus près de l’original grec.

2. Luc 24, 39.

3. Matthieu 17, 2.

4. Romains 8, 3.

5. Romains 5, 19.

6. Cf. 1 Corinthiens 6, 17 : "Car celui qui s’attache au Seigneur fait avec lui un seul esprit". Il est à noter que la distinction entre majuscules et minuscules dans les langues anciennes n’existe pas. Dans nos traduction modernes, l’"esprit" porte parfois une minuscule et parfois une majuscule selon que l’éditeur l’attribue à l’homme ou à Dieu ; mais le partage entre les deux options semble souvent difficile, comme si l’auteur se plaisait à brouiller les pistes, considérant que si l’Esprit de Dieu fait avec l’esprit de l’homme qui l’accueille "un seul esprit", il n’est donc pas si utile qu'on le croit de les distinguer.

7. L’avertissement dans toute l’Écriture pourtant est récurent. Telle cette parole du Deutéronome souvent citée : "J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie" (Deutéronome 30, 19).

8. Du grec eiper : si en effet, si vraiment, le cas échéant.

9. L’inhabitation est un terme théologique qui désigne le fait que Dieu lui-même vient habiter dans l’homme de façon intime, personnelle et gratuite.

10. 1 Corinthiens 6, 19.

11. À la différence du futur à valeur temporelle qui désigne une action postérieure au présent de la profération, le futur à valeur modale situe les deux actions dans une même unité de temps, conditionnant la seconde action à la première, ici la vie de l’homme à l’accueil de l’Esprit.

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