à Propos

Philippe Lefebvre

 

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SUITE

 

 

Négationnisme 1
Mgr Williamson est négationniste. Certes. Mais écoutez bien les propos ici et là que tiennent beaucoup de chrétiens pas spécialement intégristes. Vous vous apercevrez qu'il existe une tournure d'esprit que l'on ne peut qualifier positivement de négationniste, mais qui n'est pas sans rapport avec cette forme de déni historique. "Aujourd'hui les valeurs se perdent, la famille est en déroute, on ne sait plus ce que sont un homme ni une femme". Ce type fréquent de lamentations suggère bien plus qu'il ne dit. Il insinue l'idée que depuis quarante ans (disons : depuis mai 1968), tout se perd, mais que "avant" tout allait bien, du moins que rien n'allait si mal. "Avant" : qu'entend-on par là ? Voilà le problème : avant mai 1968, il y a la guerre froide, les guerres de décolonisation, il y a surtout deux guerres mondiales amorcées en Europe qui ont fait des victimes par dizaines de millions, qui ont déstructuré des pays, anéanti des classes d'âge.

Ces conflits, les plus meurtriers que l'humanité ait jamais connus, n'ont pas seulement été occasionnés par des questions de frontières ou par des éveils nationaux. Ils sont nés de très profondes conceptions, toutes plus perverses les unes que les autres, selon lesquelles le grand guerrier aryen est le sommet de l'humanité ; il a le droit d'écraser d'autres peuples infra-humains, de piller des territoires entiers, de ravager la terre où il s'implante. N'est-il pas l'homme, dans sa plus noble acception ? Et sa femme, qui est-elle ? Une productrice d'enfants vigoureux qui étendront leur suprématie sur la face de la terre.

Curieusement, les chrétiens des nations où ce genre d'idées s'est répandu n'ont pas été assez forts, n'ont pas eu suffisamment à dire, pour empêcher que cela se propage. "Avant", quand tout allait bien, ou du moins pas si mal, quand l'Église avait encore pignon sur rue et que les valeurs tenaient bon, l'Europe était livrée (ou se livrait) aux destructions massives, aux persécutions, aux carnages. S'il est vrai que les contrecoups d'un conflit se font sentir, au moins une cinquantaine d'années après, chez les descendants de ceux qui étaient impliqués dans ce conflit, alors nous commençons à peine à manifester, dans nos vies personnelles et dans nos communautés, les réactions de l'angoisse enkystée depuis des décennies*. Une de ces réactions serait alors le déni : "Non, il ne s'est rien passé ; tout allait très bien "avant", du moins rien n'allait si mal ; c'est maintenant que cela va mal -on ne sait trop pourquoi- mais "avant", "avant", tout était intègre, intégral". On devient intégriste pour retrouver une soi-disant intégrité perdue, celle d'"avant".

Faut-il dire que rien ne va si mal aujourd'hui, que comparée aux guerres mondiales notre situation n'est pas trop catastrophique, qu’il s’agit de tout accepter sous prétexte que le pire a été commis ? Il ne s'agit pas de jouer à ce jeu de comparaisons qui ferait fi de la complexité des choses et ne sortirait pas d'une gestion de la culpabilité (ce n'est pas telle génération qui serait en fait coupable, mais telle autre). Je veux dire par ces lignes rapides qu'il existe des dénis de l'histoire, assez acclimatés en divers endroits de la société, et particulièrement dans l'Église. Les années 1960 ont bon dos : mai 1968 aurait été la cause de l'effondrement des valeurs sociales et culturelles, et Vatican II, à la même époque, aurait fourvoyé l'Église catholique. Ceux qui soutiennent ce genre de visions, du moins ceux qui sont habités par ces représentations, de manière plus ou moins embrumée, me semblent être les purs produits de notre génération que par ailleurs ils vouent aux gémonies : ce sont des zappeurs. Ils enjambent allègrement l'histoire, ne gardent et ne regardent que ce qui les arrange. "Avant" tout allait mieux, et j'obtiens cet "avant" en passant rapidement d'une chaîne à l'autre, sans vraiment regarder, sans vouloir comprendre, en oubliant.

Beaucoup de choses sont écrites sur l'histoire du XXè s., siècle d'horreurs et de massacres. Mais cette connaissance livresque que l'on peut en acquérir n'est pas tout : nous commençons à être gagnés par les symptômes de la terreur emmagasinée par les générations qui nous ont précédés, ces générations qui n'ont pas eu (pas pris) le temps de penser l'impensable atrocité que nos sociétés éclairées, d'antique tradition chrétienne, ont produite. Williamson s'est excusé de ses propos, comme s'il ne s'agissait là que d'une bévue, d'un faux-pas, d'une erreur sur un "détail de l'histoire" comme disait un autre sinistre individu. Cette versatilité sur un sujet d'ampleur considérable prouve, à mon sens, que cet homme dit un peu n'importe quoi. Sa parole folle est un symptôme : elle relève d'une folie qui nous travaille sans que nous ayons encore mis un nom dessus.
Philippe Lefebvre 02 09

*Voir le très éclairant livre de Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière, Histoire et trauma. La folie des guerres, coll. L'autre pesnée, Stock, 2006.

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