Mot à Mot


Philippe Lefebvre

 

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5ème dimanche de Carême
La femme adultère
Jean 8, 1-11

Amener une femme adultère à Jésus : pourquoi ?


Pourquoi les scribes et les Pharisiens amènent-ils une femme adultère à Jésus ? Ces mêmes personnages viennent en effet de dire toute la méfiance qu'ils avaient envers lui (Jean 7, 45-52). Et voici qu'ils arrivent auprès de lui pour le consulter sur une affaire grave. Une histoire d'adultère, cela concerne des instances judiciaires et religieuses précises. Les scribes et les Pharisiens reconnaissent-ils donc soudain à Jésus une véritable autorité, une habilitation à juger ? Non : ils traînent cette femme vers lui pour le mettre à l'épreuve. Pour le pincer, comme ils l'ont fait pour elle, en flagrant délit de rébellion contre la Loi de Dieu qui demande qu'on lapide "les femmes comme ça" (Jean 8, 5)* . Ils considèrent en effet Jésus comme un homme qui prend ses distances avec la Loi et ils tentent de mettre sous son nez un cas bien évident où Jésus, sans nul doute, va adopter une attitude illégale.

Autrement dit, les scribes et Pharisiens se moquent de la femme et de son adultère : ils voient en elle un appât pour attraper Jésus. Ils ne prennent personne en compte : la femme n'est qu'un instrument qui leur sert et Jésus un agitateur à éliminer. Peu importe le sens profond de ce qu'il dit et fait ; l'important est que ça remet en cause le pouvoir des puissants, les combines des magouilleurs officiels, les doctrines qui arrangent ceux qui gouvernent : et cela, ils n’en veulent pas. N'ayant nul intérêt en soi pour la femme ni pour Jésus, ils traitent Dieu de la même manière. Sa Loi n'est pas pour eux une Parole à comprendre aujourd'hui ; elle les intéresse uniquement comme matériau pour forger des pièges.

Brandir la Loi : geste à examiner

En cas de problème, quand des personnes proposent immédiatement une solution (en particulier religieuse), la Bible exhorte toujours à s'interroger. Ce fameux problème, qui le pose ? à qui ? pourquoi ? dans quelles circonstances ? avec quels mots ? en proposant quelle solution ? Depuis que le serpent a décrété que l'arbre à fruit était un problème qui cachait quelque chose, depuis qu'il a préconisé un moyen de s'en emparer, on apprend dans la Bible à ne pas entrer immédiatement dans les raisons du premier venu.

Les Pharisiens mettent en doute l'autorité de Jésus et ils lui demandent une consultation? Bizarre. En pareille situation, l'enquête doit porter d'abord sur les accusateurs. Ils brandissent la Loi qui ordonne de lapider les femmes adultères. Oui, c'est vrai : Lévitique 20, 10 et Deutéronome 22, 22-24. Dans les deux cas, la Loi prend quand même la peine de rappeler qu'un adultère se commet à deux et que, si l'on surprend la femme en flagrant délit, c'est qu'il y a un homme avec elle. Où est l'homme dans le cas présent ? On n'est donc déjà plus tout à fait dans le cadre que fixe la Loi.

Et puis les lois liées à la sexualité dans l'Ancien Testament sont plus complexes que l'on ne croit. Car pour juger des pratiques d'autrui, il faut les connaître. Cette connaissance peut s'avérer légitime et utile pour dénoncer des actes d'agression et d'abus ; elle peut être aussi sujette à question : comment se fait-il en l'occurrence que ces hommes aient été si bien informés ? Comment expliquer qu'ils aient fait irruption dans une scène intime entre un homme et une femme au bon moment, si l'on ose dire ? Comment se fait-il alors qu'ils n'aient pas surpris l'homme en même temps et ne l'amènent pas avec la femme ? Ont-ils laissé partir l'homme ? Est-il parmi eux à réclamer la lapidation pour faire chuter Jésus ? Servait-il d'appât pour faire tomber cette femme qui, elle-même, fut prise pour faire tomber Jésus ?

Que celui qui peut répondre à ces questions jette la première pierre.

Dénoncer et dénoncer

Nombreux sont ceux qui s'imaginent que dénoncer le mal est chose aisée. Il n'y aurait qu'à agiter des lois, à vitupérer contre la dégradation des mœurs, à désigner des fautes et des fautifs évidents pour être classé parmi les purs. Il y aurait un fond de commerce, facile à gérer, d'indignations et d'invectives. Or la Parole de Dieu enseigne que désigner le mal et les méchants est au contraire extrêmement difficile : c'est impossible même, si ce n'est pas Dieu qui inspire de le faire. Et quand cela se fait sans Dieu, c'est aux risques et périls de ceux qui s'y hasardent. Quand on dénonce le mal en ne tirant sa légitimité que de soi et de son groupe, c'est que l'on pactise d'une manière ou d'une autre avec ce mal qu'on dénonce ; et cela finit par se voir.

Les scribes et les Pharisiens brandissent la Loi (et n'ont-ils pas raison ? c'est écrit, après tout) contre une pécheresse (et c'est vrai ! Jésus lui-même dira : "Ne pèche plus"). Mais ce faisant, ils se fichent de cette femme, de Jésus et de la Loi qu'ils invoquent. Se ficher du monde et de Dieu, cela s'appelle dans la Bible : "être adultère". "Ceux qui détiennent la Loi ne m'ont pas connu" dit le Seigneur contre les soi-disant spécialistes de sa Parole (Jérémie 2, 8) ; et le groupe qu'ils forment, Dieu l'appelle "prostituée" et "adultère" (Jérémie 2, 20 ; 3, 8 etc).

Discernement : parmi ceux qui dénoncent le mal, quels sont ceux qui le font au nom de la vie de Dieu et quels sont ceux qui le font parce qu'ils ne connaissent en fait rien d'autre que ce qu'ils dénoncent ? Celui qui n'est pas adultère envers Dieu, suggère Jésus, qu'il jette la pierre, sinon qu'il parte chez lui car il est démasqué : il a dit contre une autre les mots qui le dévoilent le mieux.

Le faux prophète accuse et il semble toujours probant (il a pour lui la Loi et des faits), il est apprécié. Le vrai prophète "ne jouit d'aucune estime" comme le dit Jésus (Jean 4, 44). Il finit crucifié. C'est là un des critères pour différencier les vrais et les faux.

Philippe Lefebvre 03 07

*Ils n'emploient d'ailleurs même pas le mot "femmes" comme s'il allait leur écorcher la bouche. Ils disent littéralement : "les comme elle", "les de cette sorte".

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